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Sermon Yom Kippour 5775/2014

Aujourd’hui, nous sommes censés nous priver de tout car c’est ainsi que les rabbins ont compris le verset concernant Kippour: ve’initèm èt-nafchotékhèm / vous mortifierez vos âmes. Pour eux, mortification signifie: privation de nourriture, de boisson, d’ablutions, de bains et plus encore.

Pourtant, lorsque l’après-midi de Yom Kippour, nous lisons le texte de la Avodah, le récit du rituel qui se déroulait en ce même jour au Temple de Jérusalem, nous apprenons que le Grand Prêtre, prenait cinq bains, ce qui est formellement interdit par la Halakhah. Personne n’oserait dire que le Kohen Gadol, ne respectait pas la Torah et les prescriptions de Kippour. Le rituel a donc bien évolué.

Et la Tradition dit que pendant sept jours, le Grand Prêtre bénéficiait d’un enseignement intense. Les sages lui rappelaient les détails et l’importance de ce qu’il allait accomplir. Il étudiait et méditait pour se préparer spirituellement au service de Kippour. Et on lui répétait: Rappelle-toi devant qui tu vas te présenter; tu dois pénétrer dans le lieu le plus auguste de la terre –c’est-à-dire le Saint des Saints-; tout notre peuple met sa confiance en toi, car ton service doit permettre à Israël d’obtenir le pardon divin. Et le jour de Kippour, il devait exécuter de façon irréprochable les gestes prescrits, tout devait être parfait.

A son arrivée au Temple, le Kohen Gadol revêtait des habits d’or, puis des habits blancs. Entre chaque changement, il procédait à des ablutions et s’immergeait dans le Mikveh, le bain du Temple.

Il faisait brûler l’encens et procédait à de nombreux sacrifices. A plusieurs reprises il imposait ses mains sur un animal qu’il immolait ensuite et, après en avoir recueilli le sang, procédait à des aspersions, y compris à l’intérieur du Saint des Saints, lieu où il pénétrait uniquement à ce moment. Il prononçait alors la prière d’expiation pour lui, pour les prêtres et pour le peuple, et énonçait le Nom divin. Puis il poursuivait en disant: Ki vayom hazeh yekhapèr alékhèm letahèr ètkhèm mikol hatotékhèm lifné Adonay / Car en ce jour il sera fait expiation de toutes vos fautes devant l’Eternel. Il ne terminait pas la phrase afin que les fidèles prennent conscience de l’importance de ce moment et puissent méditer avant de proclamer: Baroukh Chèm Kevod malekhouto leolam vaèd / Bénie soit la gloire de Son nom à tout jamais. Alors le Grand Prêtre concluait et disait: titharou / vous serez purifiés.

Il y avait aussi le bouc émissaire qui était amené par un cohen jusqu’à une falaise dans la vallée d’Azazèl, et projeté dans le vide. Et on dit que, lorsqu’il mourrait, les fils de laine écarlate qui avait été au préalable accrochés sur la porte du Temple, cette laine écarlate devenait blanche comme la neige, indiquant que Dieu avait accordé Son pardon au peuple d’Israël.

Alors le Cohen Gadol procédait aux différents gestes de la fin de la journée et, le soir venu, quittait ses habits sacerdotaux, rentrait chez lui et offrait un festin.

Mais nous ne sommes plus à l’époque du Temple, nous ne procédons plus aux sacrifices ni aux aspersions de sang sur l’autel. Il n’y a plus de Saint des Saints ni de bouc émissaire projeté du haut d’une falaise. Et pourtant, nous continuons à lire ce texte. Nos Maîtres affirment que, le Temple ayant été détruit et les sacrifices ne pouvant plus être offerts, la lecture de ce texte a autant de puissance que le rituel lui-même et que son audition confère le pardon.

S’il en est ainsi, que sont, aujourd’hui pour nous, le Temple, le Grand Prêtre et les sacrifices et le bouc émissaire?

Le Grand Prêtre n’est certainement pas le rabbin, ce serait une trop lourde tâche pour elle ou pour lui, et pour moi!

Et si le Kohen Gadol était chacun de nous? Si, pendant quelques instants, nous prenions sa place pour nous mouvoir dans un Temple virtuel. De quel temple s’agirait-il alors? Quel serait ce Mikdach?

Puisque la Chekhinah, la présence divine résidait sur cette maison, notre âme ou notre esprit ne seraient-ils pas cette présence divine en nous? Ne serions-nous pas le Temple d’aujourd’hui, dans notre totalité, avec les éléments visibles, notre corps et notre visage, et les composants invisibles, notre esprit. Notre corps, partie visible, ne serait-il pas le parvis du Temple où tous pouvaient se tenir ; et notre âme, partie invisible, l’intérieur du Saint des Saints, lieu clos où seul le Cohen Gadol pouvait pénétrer et uniquement en ce jour de Kippour?

Si tel est le cas, alors le récit de la Avodah prend sens.

L’une des premières indications qui nous est donnée concerne les jours qui précèdent Kippour. Le Grand Prêtre méditait et se préparait à ce jour comme vous qui, consciemment ou inconsciemment, vous y êtes préparés et avez obtenu, espérons-le, le pardon de celle ou de celui envers qui vous avez peut être commis une maladresse.

La seconde indication est l’aspect vestimentaire du Cohen Gadol. Après avoir revêtu des habits sacerdotaux étincelants, tissés de fils d’or, il se couvrait avec de simples vêtements de lin blanc.

L’habit est l’apparence que nous nous donnons. Il dévoile à l’autre l’image que nous voulons donner de nous. Cette apparence est souvent trompeuse. Ce jour de Kippour, il faut quitter l’image étincelante et parfois factice que nous voulons donner de nous-mêmes pour nous revêtir de blancheur. Nous sommes invités à abandonner l’apparence pour retrouver notre réalité. Cette démarche est difficile car nous devons, sur le chemin escarpé qu’elle suppose, nous approcher de ce que nous sommes et non de ce que nous croyons être. Et la désillusion guète peut-être. Changer d’habits, c’est abandonner l’importance que nous nous donnons et l’image déformée que nous avons de nous-mêmes, cette image derrière laquelle nous nous cachons pendant l’année, trop craintifs de laisser découvrir nos faiblesses.

Les animaux qui étaient offerts en sacrifices, ne représenteraient-ils pas cette animalité qui nous habite et que parfois nous n’arrivons pas à maîtriser. Ne seraient-ils pas cet emportement qui parfois nous submerge. Les sacrifices d’animaux ne seraient-ils pas un appel à ne pas nous laisser gouverner par nos passions ni par nos rebellions?

Le sang des animaux sacrifiés que le Grand Prêtre recueillait, ne serait-il pas l’image de la vie en nous qui permet à notre âme de nous habiter ; notre âme, ce reflet divin que nous avons et qui est une force de vie ? Le sang fait aussi allusion à la violence que parfois nous n’arrivons pas à maîtriser. Ce sang était aspergé sur l’autel. N’est-ce pas là une invitation à considérer comment cette violence en nous peut devenir une force positive en étant consacrée à de nobles buts?

Les autres aspersions avaient lieu sur l’Arche d’Alliance qui se trouvait à l’intérieur du Saint des Saints, dans cet espace invisible à tout Israël. Cet espace ne serait-il pas le lieu de nos pensées secrètes, celles qui peuvent générer la rébellion mais aussi être dirigées vers Dieu, ou plus prosaïquement dans un but qui nous élève et élève ceux que nous côtoyons.

L’Arche d’Alliance contenait les Tables sur lesquelles étaient gravées les Dix Paroles, dix paroles de vie. Cela ne devrait-il pas nous induire à méditer ces paroles afin d’agir pour la glorification et l’unification du Nom divin, afin que notre monde et son histoire nous apportent, ainsi qu’à tous, sérénité et paix, et que nous devenions nous aussi source de vie et de bénédictions?

Et puisqu’en ce jour, nous sommes le Grand Prêtre, n’est-ce pas une invitation à pénétrer dans notre Saint des Saints, cette âme qui nous habite? Il est l’espace intérieur de nos émotions et de nos secrets, ceux que nous enfouissons parfois au fond de nous-mêmes. Il est ce lieu de notre être que souvent nous n’osons pas découvrir et encore moins explorer. Et comme la fumée de l’encens s’élevait à l’intérieur du Saint des Saints et au-dessus du Temple, nos pensées ne pourraient-elles pas s’élever de notre âme vers leur Auteur. Elles seraient alors, comme l’encens de jadis et comme le dit la Torah, un réah nihoah lAdonay / une senteur agréable pour l’Eternel.

Et pendant que le Grand Prêtre pénétrait dans le Saint des Saints, le bouc émissaire était lancé d’une falaise. Ne pourrait-il pas représenter nos remords enfouis dans nos mémoires, nos hontes inavouées toujours présentes qu’aucun acte ni aucune parole ne peuvent racheter et qui nous taraudent secrètement. Ne pourrions-pas nous en départir et nous engager à ne pas manquer à l’avenir ces gestes ou ces paroles libératrices qui ont fait défaut dans le passé. De même que le bouc émissaire était projeté dans le vide, ne pourrions-nous pas nous libérer de ces pensées, en faire le deuil et espérer que le brin de laine couleur rouge sang enfoui dans nos mémoires, redevienne blanc comme la neige.

En cette journée, c’est donc à nous de pénétrer au fond de nous-mêmes, de nous tenir là où aucune ou aucun autre ne peuvent se tenir, au fond de notre cœur et au fond de notre âme. Cette rencontre avec nous-mêmes peut nous apprendre notre visage intérieur, et même parfois des pans entiers de notre personnalité. Ce serait cela nous “purifier” en recherchant la cohérence entre notre passé et notre présent, entre ce que nous croyons être et ce que nous sommes afin de nous reconstruire en donnant un sens plein à notre existence.

Dévoilant ce qu’il y a de plus secret en nous, nous réaliserons que nous nous sommes parfois fourvoyés car nous avons cru que ce que nous pensions être la vérité était un leurre, que ce que nous pensions connaître de nous-mêmes n’était qu’une infime partie de ce que nous sommes, que ce que nous connaissons des autres est encore plus ténu et que le monde nous échappe si souvent.

Ce retour sur nous-mêmes, ce retour se dit Techouvah en hébreu et découle du verbe lachouv / revenir. C’est pourquoi Techouvah signifie aussi le repentir. Cette Techouvah exige de nous un retour vers nous-mêmes en acceptant ce que nous sommes et en acceptant également que ce que nous connaissons des autres et du monde, est une construction à travers laquelle nous donnons du sens. Techouvah signifie aussi réponse. La réponse est ce sens renouvelé qu’à partir d’aujourd’hui nous allons donner à notre existence.

Si nous trouvons cette réponse, nous pourrons à notre tour énoncer les paroles que prononçait le Grand Prêtre: Ana Adonay /De grâce, Adonay, j’ai commis des fautes et des iniquités… par Ton Nom ineffable, kaper na lahatayim, velaavonot velfechayim / pardonne donc nos erreurs, nos fautes et nos iniquités que nous avons commises envers Toi… et nous pourrons alors espérer qu’en ce jour / ki vayom hazé, il sera fait expiation de nos iniquités devant l’Eternel.

Nous ne savons pas prononcer le Nom ineffable de Dieu. Mais nous pouvons vivre ce moment comme une libération et nous aussi proclamer: Baroukh Chèm Kevod malekhouto leolam vaèd / Bénie soit la gloire de Son nom à tout jamais. Puis comme le Grand Prêtre, conclure dans le secret de notre âme: titharou en espérant nous aussi être purifiés.

Si pendant cette journée nous faisons à nouveau connaissance avec nous-mêmes, dans le Saint des saints de notre âme, alors le récit de la Avodah n’aura pas été lu et écouté en vain. Si nous nous en inspirons pour penser notre être, pour penser nos actes, pour agir demain dans le monde, alors, comme le disent nos Maîtres, ce récit aura la même force que les sacrifices que le Cohen Gadol accomplissait en ce même jour dans le Temple de Jérusalem. Et Dieu nous accordera le pardon, comme Il l’accordait à nos ancêtres.